> Les numéros > Scumgrrrls N°13 - Printemps / Spring 2008

Mam’zelle Angèle a arrêté la pilule

Une femme. Nous l’appellerons mam’zelle, ou Sidonie, ou ­Angèle, ou même mam’zelle Angèle, par simple amusement langagier. Mam’zelle Angèle a entre 35 et 40 ans, et, il y a plus d’un an, elle a arrêté la pilule. Elle ne se souvient plus très bien comment cette décision a été prise. Ah oui, elle se souvient : son médecin traitant s’inquiétait de son hypertension artérielle répétée. C’est vrai, mam’zelle Angèle avait une vie trépidante. Son vélo au quotidien et sa nourriture plutôt venue des marchés que des grandes surfaces la sauvaient quelque peu. Mais un assemblage de deux facteurs restait ­implacable : les nombreuses cigarettes qu’elle grillait chaque jour et cette pilule qu’elle avalait chaque soir. Le médecin ­risqua un petit « ce serait bien que vous arrêtiez la cigarette et la pilule  », auquel mam’zelle répondit certainement par un ­regard horrifié, puisqu’il se reprit rapidement en se contentant d’un « hum, vos examens cardiaques, pulmonaires et respiratoire sont bons. Et si vous arrêtiez juste la pilule ?  ». « Ouf  », se dit la fumeuse. « Oui…mais  », se dit la mam’zelle.

Mam’zelle Angèle a donc arrêté la pilule. C’était facile : ­ouvrir le tiroir où elles se trouvaient, les jeter à la poubelle et s’endormir chaque soir en oubliant peu à peu cette prise qui était devenue machinale. Ne plus penser à renouveler les ­ordonnances. Constater les économies réalisées. Et très rapidement, voir l’hypertension artérielle disparaîitre. Bingo. Le but était ­atteint.

Discours d’expert.e.s

« Oui… mais », se dit mam’zelle Angèle. Comme il arrivait à mam’zelle Angèle de trouver des voluptés auprès de certains messieurs et qu’elle voulait continuer à choisir de ne pas tomber enceinte n’importe comment, elle fit la liste des alternatives et opta pour une contraception dite mécanique : la cape cervicale ou le diaphragme. Ces petites choses concaves, en latex ou silicone ou élastomère, une fois placées correctement dans l’utérus de la femme, forment une barrière physique par ‘effet ventouse’ avec les muqueuses et empêchent ainsi l’entrée des spermatozoi.des d’un monsieur dans le col de l’utérus d’une madame. Leur taille et leur emplacement diffèrent. Le diaphragme est une rondelle en forme de dôme, tendue par un anneau rigide. Il se place dans le fond du vagin et adhère à ses parois latérales. La cape cervicale, quant à elle, ressemble à un petit « bonnet » qui couvre directement le col de l’utérus auquel il vient se coller. L’un et l’autre existent en différentes dimensions afin de s’adapter au mieux à l’anatomie de l’usagère.

Mam’zelle Angèle alla donc visiter une gynécologue, puis une seconde, puis une troisième, leur demandant simplement de prendre ses mesures afin de commander la taille de cape cervicale, technique pour laquelle elle avait finalement optée, qui conviendrait à son anatomie. Mais toutes trois lui tinrent un discours similaire : « Se passer d’hormones, mais ma chère amie, êtes-vous folle ou ignorante ! ». Les arguments portaient principalement sur l’efficacité contraceptive « prouvée en laboratoire » et sur la connaissance sûre qui était maintenant acquise sur l’usage des hormones tout au long de la vie de la femme. Avantages garantis, pas tout à fait de 7 à 77 ans, mais de 12 ans jusqu’à « plus vie », puisque l’usage des hormones étaient dorénavant recommandé comme mode de régulation continue des fonctionnements de la femme tout au long de sa vie.

La troisième gynéco fut plus rapidement amadouée par les arguments que mam’zelle Angèle avait eu le temps de former grâce aux deux premiers rendez-vous. Pleine de bonne volonté, elle se mit à bricoler de quoi prendre les mesures de mam’zelle Angèle : du mercurochrome sur le col de l’utérus et un coton tige pour prendre l’empreinte. La scène était loufoque. Au moins, elles riaient. Malheu­reusement, lorsque mam’ zelle Angèle voulut commander sur internet la cape cervicale choisie, les mesures prises dépassaient de quelques centimètres les tailles proposées en millimè­tres. Et pourtant, décidément, non, son col n’était pas de taille à figurer dans le livre des records.

Le constat était simplement cinglant. Ces trois gynécos faisaient les malignes, mais elles ne con­naissaient de ces techniques que ce que leurs manuels, les circulaires émanant des services en charge de la santé publique ou peut-être les quelques délégués médicaux des firmes phar­maceutiques leur avaient appris. Elles se contentaient de cette certitude ainsi acquise : « Ces techniques ne sont pas fiables ». Point à la ligne. Autant dire qu’elles ne sa­vaient rien. Elles ne connaissaient ni leur forme exacte, ni leur usage, ni leur fiabilité, ni leurs avantages. Un vent sifflant « tout à l’hormone » ne leur avait simplement jamais donné l’occasion d’y penser, ni pour elle-même, ni pour les patientes qui venaient les consulter. Et si la troisième gynécologue s’était laissée convaincre par la fermeté de la décision de mam’zelle Angèle, elle continuait de prolonger les discours paternalistes tenues par les autres : « Mais ma chère, il faut être éduquée pour bien utiliser ces techniques. Pour la majorité de la population féminine, la pilule ne demande aucun savoir particulier et assure ainsi une efficacité maximale. Ni les pouvoirs publics, ni la profession médicale ne peuvent prendre la responsabilité de recommander d’autres techniques et de voir de pauvres femmes tomber enceintes ». Ces discours produisirent un drôle d’effet sur mam’zelle Angèle. Elle n’était pas venue pour polémiquer ou pour mener campagne en faveur de la contraception « mécanique », encore moins contre les contraceptifs hormonaux. Mais la ferveur avec laquelle ces gynécologues tentèrent de la dissuader de son choix la rendit quelque peu perplexe. Elle pensait venir simplement écarter les jambes et elle se retrouva à devoir se justifier et convaincre. Elle pensait pouvoir disposer simplement d’un savoir médical et elle était face à une espèce de « sur-savoir médical » à connotation moralisante, dont l’autorité masquait l’ignorance.

Un corps dans tous ses états C’est finalement une gynécologue trouvée via un réseau de sages-femmes qui accueillit la demande de mam’zelle Angèle. Et pour cause, elle avait participé à divers groupes féministes d’auto-examen dans les années 70. Dans ces groupes, les femmes produisaient des savoirs sur leur corps. Elles en revendiquaient la réappropriation et contestaient qu’ils puissent leur être ravis par leur(s) partenaire(s) ou les médecins. Cette gynéco connaissait ces techniques, leurs usages, leurs apprentissages. Elle accueillit avec enthousiasme mam’zelle Angèle et sa demande. Elle prit les dimensions parfaites de son col de l’utérus, simplement en essayant l’une après l’autre les différentes tailles de cape cervicale qu’elle s’était procurées. Et mam’zelle Angèle put commander la cape cervicale qu’elle utilise depuis avec satisfaction.

L’histoire pourrait se terminer là. Mam’zelle Angèle avait trouvé ce qu’elle cherchait, au prix de quelques détours. Néanmoins, cette histoire emplit mam’zelle Angèle de questions. Pensant aux groupes féministes d’auto-examen des années 70 qui plaçaient la réappropriation de leur corps au centre de leurs pratiques, mam’zelle Angèle se demande quel est ce corps sur lequel elle a le pouvoir. Il ne trouve pas facilement sa place dans l’opposition critique entre un corps-nature et un corps-machine. D’une part, la cape cervicale est aussi une technique. Et d’autre part, mam’zelle Angèle connait la liberté sans contrainte dont elle a bénéficié ces vingt dernières années, grâce à la pilule et sa capacité technique de la protéger de la crainte d’être enceinte. Cette liberté lui a permise de s’adonner aux voluptés de son corps avec les partenaires de son choix, sans avoir à les séduire ou à les supporter pour la seule raison qu’il lui fallait un partenaire pour partager l’enfantement. Mam’zelle Angèle a vécu quelques raretés de rapport non genré. C’est ce corps-là, ni nature, ni machine, que la pilule lui a permis de faire exister.

A l’opposition corps-nature/corps-machine, se substitue un questionnement beaucoup plus précis sur ce que permet chacune de ces techniques eu égard à une vie à vivre : quelles protections contre quels dangers, quelles puissances pour quelles chances ? Les nouveaux gestes à laquelle la technique mécanique l’oblige lui font se souvenir lors de ses rencontres sexuelles que son corps possède une étrange puissance d’enfantement, puissance dont elle doit tenir compte à chaque usage. Par contraste, le pilule, précisément en raison de son manque de contrainte située dans la rencontre sexuelle, lui a permis de faire taire cette puissance, pour elle-même et pour ses partenaires, de faire comme si elle n’existait pas. Aujourd’hui, avec sa réapparition, c’est une autre face de cette puissance qui surgit, non pas la crainte d’être enceinte, mais la possibilité de l’être. Et cette face-là du pouvoir d’enfantement pose à mam’zelle Angèle de tout autres problèmes.

Mam’zelle Angèle, à presque quarante ans, est héritière d’un pouvoir quasi absolu sur sa puissance d’enfantement : si elle le veut, quand elle veut, avec qui elle veut. Et son petit doigt lui dit qu’elle n’est pas la seule de la génération qui a été « libérée » par la « révolution pilule » à en être là, à devoir inventer comment vivre avec la singularité de cette puissance d’enfantement de son corps, dans la tension difficile entre le soin qu’elle veut continuer de donner à sa vie (ne pas tomber enceinte n’importe comment) et le refus de la responsabilité individuelle a-politique dans laquelle son grand pouvoir risque tout le temps de la pousser. Si ce n’est seule ou en couple que l’on fait des bébés, à combien sommes-nous ? Affaire à suivre donc, dans de nouvelles aventures.

Quelques compléments :

- Outre les récits de la dernière gynécologue, j’ai trouvé récemment une brochure éditée en septembre 1976 par « Des femmes du Centre Femmes » de Carouge en Suisse, portant sur l’auto-examen gynécologique. Elle circule sous forme de photocopies dans les infothèques anarchistes sous le titre « Examen gynécologiques. Infections » et est signée « Des femmes du Centre Femmes ».

- Un article écrit l’an dernier par Ben Martin questionne ce verrouillage du débat sur la contraception et la procréation par les responsables en santé publique qui en Belgique suivent une tendance du « tout à l’hormone ». Elle ouvre quelques pistes de réflexions sur les rapports très différents au corps des femmes et à leur vie que permettent diverses contraceptions. Ben Martin « Contraception : Responsabi­lité des femmes, choix de couple ou décision d’experts ? », paru dans le mensuel C4-D’une certaine gaieté, n°151/152, de janvier/février 2007, page 16. Disponible en ligne : http://www.certaine-gaite.org
- La tendance du « tout à l’hormone » est loin d’être généralisée en matière contraceptive dans le monde. Voir à ce sujet la fiche pédagogique de l’Institut national d’études démographiques (INED) consacrée à la contraception dans le monde. Disponible en ligne : http://www.ined.fr
- L’article de Nicolas Journet – Pourquoi la pilule pour homme n’existe pas – explore les raisons principales de cette inexistence en prenant acte du fait que les usagers majoritaires des contraceptifs sont des usagères. Il ancre ainsi la question de la contraception dans celle plus large de la fécondité et de la procréation. Son article se termine sur le constat qu’il incombe à la femme individuelle une charge lourde lorsque elle doit prendre seule la décision du comment, avec qui et du quand enfanter. Disponible en ligne : http://www.scienceshumaines.com

EN

Miss Angel has quit the pill. Wishing to replace it by a mechanical contraception, she ­visited some women gynecologists who refused to promote anything but the pill, hiding their ignorance behind a sort of a “medical over-knowledge†. Finally one gynecologist, who ­belonged to feminist groups of self-exam in the 70’s, agreed to her request. This long quest has however left Miss Angel with a tricky question : how many are we when making babies ?

NL

Mam’zelle Angèle is gestopt met de pil. Ze wil voor een mechanische contraceptie kiezen, maar stoot daarbij op vrouwelijke gynaecologen die hun onkunde terzake verbergen achter een soort "medische superkennis". Een gynaecologe, die in de jaren zeventig deelnam aan feministische groepen voor zelf­onderzoek, gaat uiteindelijk in op haar vraag. Mam’zelle Angèle houdt er een vraag aan over : met hoeveel zijn we om een baby te maken ?