> Les numéros > Scumgrrrls N°12 - Automne / Fall 2007

Fées du logis ou domestiques modernes ?

Ne plus penser aux corvées ménagères pendant des mois et des mois. Ne plus nettoyer, ne plus faire les courses, ne plus préparer vos repas, ne plus repasser... Bref, vivre comme un prince pendant six mois.

C’est ce que vous propose l’agence d’intérim Randstad lors de son concours de l’été. Répondez à quelques questions et remportez une aide-ménagère pendant 6 mois ! Finis les concours où vous pouvez gagner une télé, un voyage au soleil, une voiture, un revenu à vie, Randstad a inventé le concours où le prix est le travail d’une personne en chair et en os ! Choquant ? Ce n’est pourtant que la suite logique de la mise en place en Belgique des titres-services comme politique de l’emploi.

Le système des titres-services

Créés par une loi de 2001, les titres-services ont pour objectif premier de sortir une série de personnes du travail au noir en leur offrant un contrat de travail. Ce sont les « femmes de ménage » qui sont surtout visées, exemple symptomatique de travail non déclaré.

Les « travailleuses » sont engagées par une société d’intérim, une association sans but lucratif, un CPAS, ou tout autre type de société et sont « fournies » aux particuliers. Tout le monde semble se féliciter de l’opération : il n’en coûtera au particulier que 6,70 € par heure de travail presté, déductibles de ses impôts à concurrence de 30% (soit un coût de revient final de 4,47 €). L’Etat complète ce paiement en versant 13,30 € aux entreprises concernées. Quant à la travailleuse, sa rémunération varie selon les employeurs, mais tourne autour d’une moyenne de 9,28 € de rémunération horaire brute.

Ce système a sorti de nombreuses femmes du travail au noir, dépourvu de toute couverture sociale. Il a permis également de réduire les chiffres du chômage des femmes. Le projet a même dépassé les espérances des pouvoirs publics en termes d’emplois créés : plus de 40.000 fin 2006.

Il y aurait donc tout lieu de se réjouir. Pourtant, l’association Vie Féminine, association d’éducation permanente et mouvement féministe d’action interculturelle et sociale, n’a de cesse de dénoncer les titresservices. Au terme de nombreuses discussions au sein de groupes de parole regroupant des femmes concernées, de rencontres avec les institutions les mettant en place, l’association a publié en juillet 2006, une analyse très fouillée de cette politique d’emploi et défend une prise de position visant à modifier en profondeur les orientations du gouvernement en la matière. Le titre du document, « Les titres-services : un statut ‘plaqué or’ », disponible sur le site de Vie Féminine (www.viefeminine.be), en dit déjà beaucoup sur un type d’emploi dont la façade cache mal une réalité bien moins rose, emblématique de la conception actuelle du travail des femmes.

Des emplois précaires en quantité

En dépit des discours glorifiant la création de nouveaux emplois, c’est surtout une nouvelle forme de précarité que les pouvoirs publics encouragent. Rares sont les emplois à temps plein (moins de 10% des travailleuses), la moyenne hebdomadaire d’heures de travail étant de 23 heures. Vie Féminine pointe également les entorses qui sont faites à la législation sur le travail, car le système permet de proposer un engagement pour une durée inférieure à un tiers temps ou en dessous de 3 heures par jour. Les heures de déplacement entre les lieux de travail ne sont généralement pas comptées et les frais de ces déplacements ne sont pas toujours remboursés à la travailleuse. La pénibilité du travail, qui inclut un travail physique éreintant et des déplacements fréquents entre les lieux de travail, n’est pas non plus prise en compte. Rares sont les travailleuses qui pourraient réellement assurer un temps plein si on leur proposait.

La faible rémunération des travailleuses couplée au temps partiel a pour conséquence que plus de la moitié des travailleuses ne gagnaient pas plus de 700 € par mois (en 2004), alors que le seuil de pauvreté pour une personne isolée s’élève à 822 €. « On ne vise pas à créer une qualité d’emploi mais plutôt à créer de l’emploi en quantité. Et cela avec un budget public colossal (plus de 450 millions d’euros en 2006) qui justifie qu’on puisse s’interroger sur ce choix politique fort » dénonce Soizic Dubot, coordinatrice « emplois, revenus et formation » au sein de Vie Féminine.

La marchandisation du travail domestique préférée à la collectivisation de l’aide ménagère

Le projet des titres-services développe également une vision de la société assez peu solidaire. Les services d’aide aux personnes, auparavant proposés par des services publics à ceux qui en ont le plus besoin (femmes âgées, familles nombreuses, etc.) sont désormais régis par une logique commerciale, le bénéficiaire devenant un client d’une entreprise privée. Il bénéficie surtout aux personnes à revenu élevé dans la mesure où, en raison de la déductibilité fiscale, les titres-services leur coûtent moins que pour des personnes à revenu faible qui ne paient pas d’impôts. Vie Féminine demande par exemple que l’investissement substantiel réalisé dans les titres-services soit redirigé dans des services collectifs et non-marchands et dans une allocation permettant aux familles de recourir à des services d’aides ménagères et autres.

Des emplois taillés sur mesure pour des femmes

98,4% des travailleurs en titres-services sont des travailleuses. Pour Soizic Dubot de Vie Féminine, « ce n’est pas anodin que les titres-services concernent essentiellement des aides ménagères, profession très sexuée puisque le secteur de l’aide domestique comprend 80% de travailleuses. C’est tout à fait représentatif des difficultés d’insertion des femmes sur le marché de l’emploi en général. On reste dans un société et une vision dans lequel l’emploi des femmes est perçu comme secondaire : la femme apporte le salaire d’appoint dans le ménage. Sur base de cette représentation, on peut donc faire passer plus facilement une politique prônant des emplois précaires mal rémunérés. S’il s’agit de femmes, ce n’est pas si grave. Soizic poursuit : « Cela va sembler normal qu’une femme travaille à temps partiel car la conciliation entre sphère familiale et travail reste du ressort de la femme. Les pouvoirs publics renforcent ces rôles sociaux en implémentant des politiques qui à leur tour s’appuient sur ces représentations ». Les emplois d’aides-ménagères sont massivement proposés aux femmes en recherche d’emploi (et notamment grâce à la politique d’activation du chômage, qui ne laisse pas d’autre choix aux chômeuses), parce que leurs compétences domestiques sont reconnues et recherchées. Pour autant, on ne va pas valoriser ce type de compétences acquises socialement en tant que femmes.

« C’est vraiment typique de la manière dont on reconnaît la qualification des femmes tout en la niant totalement  » explique Soizic Dubot. « Une personne, mère de famille, par l’expérience, depuis son enfance, depuis sa première dînette, jusqu’à ce qu’elle soit femme au foyer, a acquis tout un tas de compétences qu’elle va pouvoir utiliser dans la sphère professionnelle, mais comme elle les a acquises dans la sphère privée, on ne va pas valoriser cette expertise. On peut employer ces femmes même sans qualification ou formation, tout en leur déniant cette expertise particulière en prétendant que ces emplois ne requièrent aucune compétence particulière. Les exemples ont fréquents : les gardes d’enfants sans statut social complet ou, dans le passé, les ouvrières employées sur certains postes en raison de leur rythme et de leur capacité à effectuer plusieurs tâches à la fois, compétences qu’elles avaient acquises dans leur cuisine. Cette négation de compétences tout en les recherchant est une constante de l’emploi féminin ».

Le gouvernement avait suggéré il y a quelques années, se targuant du succès de sa politique, d’étendre les titres-services à d’autres types d’emploi, tels le bricolage, le jardinage, emplois également sexués, mais rien n’a finalement été proposé. Est-ce parce que la pilule d’un emploi en titres-services serait plus difficile à avaler (et à justifier politiquement) pour des travailleurs masculins ?

Quelle position féministe pour les utilisatrices des titres-services ?

En 1981, dans Femmes, race et classe, Angela Davis préconisait l’industrialisation et l’externalisation du travail domestique comme une lutte féministe importante qui permettrait aux femmes de se libérer de l’ennui des tâches ménagères désormais confiées à des travailleurs professionnels. Mais la féministe marxiste ne voulait pas pour autant créer une industrialisation basée sur l’exploitation de travailleusEs. Pour promouvoir les titres-services auprès de la population l’Etat a multiplié les publicités montrant des familles heureuses, enfin débarrassées des tâches domestiques, dans une maison rutilante. Les titresservices, la solution féministe au travail domestique des femmes ?

L’optimisme des campagnes de pub est tout d’abord mensonger car la majorité des utilisateurs de titresservices sont des femmes, ce qui en dit beaucoup sur la soi-disante meilleure répartition des tâches ménagères au sein du couple. Soit la femme prend balai et serpillière, soit elle s’occupe de trouver une autre femme qui s’en charge : l’externalisation du sale boulot comme réponse à des siècles de domesticité féminine, on ne peut pas dire qu’il s’agisse d’une avancée considérable pour la libération des femmes ! D’autant plus que les aides-ménagères en question ne peuvent elles, en raison de leur faible niveau de revenu, se décharger de leur propre charge domestique.

Mais que faire alors en tant qu’utilisatrices potentielles  ? Doit-on boycotter le recours aux titres-services ? Il faut certainement distinguer la revendication collective, portée notamment par Vie Féminine, qui doit clairement signifier aux responsables politiques notre désaccord avec leur vision de l’emploi des femmes, et la position individuelle de chacune qui peut se manifester par des stratégies du quotidien, pour reprendre un terme utilisé par Soizic Dubot. En tant qu’utilisatrices, faisons tout d’abord attention aux entreprises qui les proposent. Les études semblent indiquer que les conditions de travail sont plus difficiles dans les entreprises d’intérim, que dans les asbl, mutualités ou entreprises à finalité sociale (liste consultable sur http://www.titres-services.be). Tenons compte du temps et des frais de transport de la travailleuse ainsi que de la pénibilité du travail, par exemple en lui remettant plus de titres-services que d’heures prestées. Et interrogeons l’employeur sur sa politique et ce qu’il offre aux travailleuses en termes de rémunération, de formation ou de remboursement de frais.

EN

In Belgium the system of ‘titres-services’ (vouchers for services) was created in 2001 ; it helped thousands of women to become legal and transformed them into salaried cleaning workers. It is financed by public funds and is aimed mostly at women. However it reinforces the fact that this type of work is done mostly by women and remains very insecure. It also doesn’t require any qualification but relies on women’s ‘natural’ expertise !

NL

De dienstencheques, ingevoerd in 2001, hebben duizenden vrouwen uit het zwartwerkerscircuit gehaald en hen omgevormd tot loontrekkende schoonmaaksters. Het soort werk dat dit systeem, gefinancierd via gemeenschapsgeld, voorstelt richt zich hoofdzakelijk tot vrouwen. Het biedt geen bestaanszekerheid en versterkt de idee dat het werk van vrouwen bijkomstig is, uiteraard deeltijds en geen enkele bijzondere kwalificatie vereist, afgezien van de zogezegd natuurlijke vrouwelijke expertise.